En septembre 2022, plus de 2 600 salariés de Camaïeu apprennent brutalement la liquidation judiciaire de l’enseigne, quelques mois seulement après une reprise présentée comme un nouveau départ. Le chiffre d’affaires avait pourtant connu une hausse de 18 % en 2021, masquant une fragilité structurelle.
La multiplication des redressements judiciaires dans le prêt-à-porter alimente une inquiétude durable chez les acteurs du secteur. Résilience opérationnelle, défaillances logistiques et mutations des modes de consommation s’entremêlent dans l’échec de Camaïeu, révélant les failles d’un modèle longtemps dominant en France.
Le secteur de la mode en crise : comprendre un contexte défavorable
Depuis plusieurs années, le secteur de l’habillement traverse une zone de turbulences rarement égalée. La crise sanitaire a fait tomber les dominos plus vite encore, mettant à nu les faiblesses d’un système déjà fragilisé. Entre rideaux tirés sur les magasins, stocks impossibles à écouler et envie d’acheter au plus bas, le prêt-à-porter français a encaissé coup sur coup.
Les chiffres de l’Institut français de la mode (IFM) sont sans appel : en 2020, le marché de l’habillement a dégringolé de près de 15 % en France. Un recul historique. Même les principales enseignes ont vacillé, incapables de résister à la vague. Les marques françaises qui occupaient le terrain depuis des décennies ont perdu pied, dépassées par la montée des géants de la fast fashion et le virage numérique. Les points de vente physiques, longtemps considérés comme un atout, se sont transformés en fardeaux financiers.
Voici les défis majeurs qui pèsent désormais sur le secteur :
- Pression constante sur les marges, accentuée par la concurrence internationale
- Changements rapides dans les habitudes d’achat
- Coûts fixes élevés, liés notamment aux boutiques et à la logistique
Les mastodontes du e-commerce et les nouveaux acteurs à petit prix imposent leur rythme. Les habitudes d’achat changent, l’attente de rapidité, de simplicité et de parcours digital s’installe. Conséquence : la fréquentation des points de vente classiques s’effondre, entraînant nombre d’entreprises dans un cycle de difficultés sans fin.
Pourquoi Camaïeu n’a pas su résister aux bouleversements du marché ?
La chute de Camaïeu n’a rien d’un simple incident. C’est l’aboutissement d’une série de difficultés et de choix discutables, sur fond de conjoncture défavorable. Dès 2020, le redressement judiciaire sonnait déjà comme un avertissement. Pourtant, la reprise orchestrée par Michel Ohayon n’a pas permis de renverser la vapeur. Pression financière permanente, investissements au compte-goutte, dettes qui s’accumulent : la marque n’a jamais pu retrouver l’élan nécessaire pour rebondir.
Le prêt-à-porter féminin français s’est transformé à une vitesse vertigineuse. Pendant que la fast fashion imposait son tempo, Camaïeu persistait dans son modèle classique, axé sur un vaste maillage de boutiques physiques. L’enseigne a gravement sous-estimé l’importance du digital. Alors que les concurrents adaptaient leur offre et modernisaient leurs services, Camaïeu proposait des collections à foison sur des rayons surchargés, sans parvenir à fédérer une nouvelle génération de clientes.
La liquidation judiciaire de septembre 2022 est le point final d’une stratégie qui n’a jamais réellement pris le virage du renouveau. Le marché, lui, n’a pas attendu : Zara, H&M, Primark et les pure players ont capté l’intérêt et le budget des acheteuses. Piégée entre des coûts fixes écrasants et une image de marque en perte de repères, Camaïeu n’a pas tenu la distance. Fermetures en série, trésorerie anémiée, le couperet est tombé.
Gestion interne, stratégie commerciale et choix décisifs : les failles révélées
Le constat est sans appel : gestion interne fragile, stratégie commerciale à tâtons, décisions prises trop tard. Camaïeu n’a pas seulement subi la pression extérieure. Longtemps figure du prêt-à-porter accessible, l’enseigne s’est perdue dans une succession de choix mal calibrés et d’opportunités manquées.
| Failles internes | Conséquences |
|---|---|
| Endettement massif | Capacité d’investissement réduite, innovation freinée |
| Rotation à la direction | Vision brouillée, cap instable |
| Absence de transformation digitale | Décrochage face aux nouveaux usages |
Les décisions stratégiques majeures ont été repoussées encore et encore. Face à la déferlante fast fashion, la marque a réagi trop tard. Les collections manquaient de renouveau et d’identité affirmée, saison après saison. Pendant ce temps, la concurrence misait sur la souplesse et l’omnicanal, prenant une longueur d’avance.
Fragilisée par un endettement prolongé, la structure interne n’a pas su préserver ses équipes. L’onde de choc a été immédiate : fermetures de magasins, suppressions de postes, impact social brutal. Camaïeu, autrefois référence, a vu sa chaîne logistique se gripper, ses fournisseurs prendre leurs distances, ses clientes perdre leurs repères. L’entreprise n’a jamais réussi à rétablir une dynamique ni à reconstruire une vision fédératrice.
Quelles perspectives pour les enseignes de prêt-à-porter après la chute de Camaïeu ?
La disparition de Camaïeu laisse une trace durable dans tous les réseaux de vente. Marques françaises de référence, chaînes établies, nouveaux venus, tous auscultent leur propre avenir face à un secteur du prêt-à-porter sous tension permanente. Impossible de faire l’impasse sur un consommateur volatil, passé maître dans l’art de zapper d’une tendance à l’autre, influencé par ce qui fait le buzz sur TikTok ou Instagram.
Nouvelles batailles, nouveaux terrains
Voici les leviers que les enseignes activent pour tenter de rester dans la course :
- La présence numérique ne se discute plus. Les marques investissent dans des campagnes ciblées, peaufinent leur image sur les réseaux, cherchent à créer de l’engagement et à susciter l’adhésion.
- Les points de vente physiques évoluent : expérience immersive, conseils sur mesure, click & collect, services hybrides… tout est pensé pour retenir la clientèle.
- L’heure est aussi à la responsabilité sociale et environnementale : provenance locale, traçabilité des articles, transparence sur les conditions de fabrication.
Celio, par exemple, après une période de fortes turbulences, mise désormais sur la digitalisation et revoit l’aménagement de ses boutiques. D’autres marques observent, expérimentent, ajustent leur cap. Chacune cherche son équilibre : petite surface en centre-ville, présence active sur les plateformes sociales, collaborations inédites.
Le secteur du prêt-à-porter, secoué par la chute de Camaïeu, se retrouve face à un défi permanent : se réinventer sans relâche. L’enjeu n’est plus la multiplication des magasins, mais la capacité à sentir, à comprendre et à répondre, presque en temps réel, aux désirs d’une clientèle aussi insaisissable que connectée. Ceux qui sauront allier réactivité, créativité et écoute garderont une longueur d’avance sur le fil du rasoir.


